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9 juin 2008

La légende d'une tribu perdue

Source : Le Monde
Auteur : Laurent Greilsamer



C'est une photo volée qui a fait le tour du monde. Une photo prise de loin, pas très nette, où l'on distingue une scène primitive et des silhouettes. Une photo qui nous a fait brutalement découvrir, dans les derniers jours de mai, l'existence d'une tribu indienne perdue au fin fond de l'Amazonie. Et cette photo-là, après quelques jours de repos dans un coin de mémoire, garde encore sa force.

Regardons-la bien. Elle est prise de haut. Au centre se détachent deux ou trois huttes en longueur dont on ne perçoit que les toits recouverts de branches couleur de chaume. Sur les côtés apparaît la masse verte et dense de la forêt tropicale. Et sur une terre exceptionnellement sèche, poussière, cinq ou six hommes nus lèvent la tête et arment leurs arcs pour tirer dans notre direction, tandis que d'autres brandissent leurs lances vers nous, simples lecteurs de journaux.

Que se passe-t-il donc ? Nous le savons bien, humains du monde développé que nous sommes : un avion ou un hélicoptère est en train de survoler ce village d'Indiens solitaires et sédentarisés. Surpris par l'irruption d'un "oiseau de fer aussi bruyant qu'une tempête", les "bons sauvages" esquissent un geste de défense réflexe.

Mais justement, ce qui frappe le plus ici, ce n'est pas la découverte de cette tribu d'Indiens, ce n'est pas leur attitude défensive bien compréhensible, mais c'est la photo, la photo dans son plus simple appareil, la photo nue à l'époque de l'image. Oui, pourquoi s'être privé de la vidéo qui nous en aurait montré bien davantage ? Comment expliquer l'absence d'un zoom sur les visages de ces "sauvages" pris au dépourvu, de retour de la chasse ou réveillés en pleine sieste ? Probablement parce que la photo a impérativement besoin d'une légende.

En l'occurrence, la légende est servie par la Fondation nationale de l'Indien (Funai), qui explique qu'il s'agit d'une des dernières tribus exemptes de relations avec le monde extérieur (nous reviendrons sur ce monde extérieur). Environ 250 personnes composeraient ce groupe, et la Funai précise aussi que les photos de ces Indiens, dont les corps sont peints en rouge ou en noir, ont été prises début mai, diffusées un mois plus tard.

Une question en entraîne une autre : comment la Funai, sur la seule foi de ces clichés, peut-elle affirmer qu'il y a là 250 Indiens et que ces Indiens-là constituent l'une des dernières tribus vierges de tout contact avec le monde global ? Parce que cette tribu - qui vit de l'agriculture et maîtrise le feu - n'est pas tout à fait inconnue. Cela fait vingt ans que la Funai a décidé de la protéger en rompant le dialogue et en la laissant à sa liberté. Mais avant ? Qu'en était-il des relations entre les protecteurs et les Indiens ? L'histoire ne le dit pas encore, mais reconnaît en creux que la découverte du mois de mai n'en est pas une.

La Funai a décidé de révéler l'existence de cette tribu pour attirer l'attention du village global sur cette microsociété menacée par les compagnies pétrolières, qui aimeraient bien pouvoir forer tranquillement aux confins du Pérou et du Brésil, et par les bûcherons, qui tondent de trop près la forêt. L'hélicoptère de la Fondation, parti à la rencontre de la peuplade perdue, a mimé involontairement les dangers à venir.

Le silence était jusqu'à présent protecteur ; l'information peut devenir salvatrice. Et de fait les autorités ont aussitôt promis de protéger ces rescapés des coupeurs de bois. Les Indiens sont cernés, mais à distance. Protégés parce que prisonniers. Mais le savent-ils ? Connaissent-ils le périmètre de leur liberté ? Ont-ils seulement conscience d'être notre monde extérieur, nous qui constituons le leur ?

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